Textes Anaclasiens
La ballade de Léo Artean
C’était un roi sans couronne
Rugissant au milieu des moutons,
Sauvé de la déroute des hommes,
Né du baiser de la boue et du sang.
Chantez avec moi la ballade
Du grand Léo Artean
Pique, pique et pique d’estoc
Frappe, frappe et frappe de taille.
En ce temps le Grand Fléau
Vomissait ses sauvages légions,
Moissonnant les preux et les héros,
Les femmes et les enfants sans compassion.
Chantez avec moi la ballade
Du grand Léo Artean
Pique, pique et pique d’estoc
Frappe, frappe et frappe de taille.
L’intrépide capitaine sans bateau
Dans sa quête se fit explorateur,
Coupant les frontières par monts et par vaux,
De la neige tonnante aux rivages de la peur.
Chantez avec moi la ballade
Du grand Léo Artean
Pique, pique et pique d’estoc
Frappe, frappe et frappe de taille.
Revenu d’entre les fantômes,
Tout auréolé par le feu-dragon,
Le roi réunit derrière lui les royaumes,
Dressant des forêts d’épées dans le vent.
Chantez avec moi la ballade
Du grand Léo Artean
Pique, pique et pique d’estoc
Frappe, frappe et frappe de taille.
Le ciel se souvient de l’entrain
Du grand roi chassant les inhumains,
Et des mille voix soudain
Lançant en cœur ce refrain :
Chantez avec moi la ballade
Du grand Léo Artean
Pique, pique et pique d’estoc
Frappe, frappe et frappe de taille...
(Extrait de Les plus belles complaintes des temps révolus)
La Treizième Prophétie d’Antialphe
L’an mil après l’établissement du bonheur
Verra ressusciter le roi d’effrayeur,
Le septentrional quitter son siège,
Et transpercer du ciel les feux et neiges.
De Reflet en chair resurgira un Nommeur,
Qui cherchera au giron des Incréés
Les fondements de l’ancestrale félicité,
Et rendra au monde éprouvé l’oubli du malheur.
(Extrait de La Complainte du Temps et des Contrées)
Le Mont-Aiguille
En l’an de mon cinquante sixième âge, je me souviens avec émotion de mon Dauphiné natal…
Je revois en pensées ses prairies hachées d’eaux vives et ses sapins en pagaille, dévalant des pics éclaboussés de lin blanc jusqu’aux conques des vallées. Je revois le clocher gris de ses bourgs, découpés devant le profil bleuté des massifs. Je revois également le sourire espiègle de ma jolie Margot, lorsque nous gardions ensemble les moutons de ma grand-mère Ufisie et nos galops au milieu des herbes folles, remplies du vacarme des criquets.
Je n’effacerais jamais ces pensées rafraîchissantes de mon livre de pensées, dussé-je vivre encore un siècle. Pas plus que je n’oublierais l’ascension du Mont Inaccessible, qui fit de moi une célébrité locale et me fit perdre, du même coup, mon habit d’innocence, tout brodé de rêves et de légendes.
J’étais fasciné, dans cet âge, par la silhouette énorme et jaillissante du Mont Inaccessible, qui surplombe depuis toujours mon Trièves natal ; il hantait mes nuits et charmait mes jours, tantôt riant, découpé sur le chapiteau indigo du firmament et tantôt fantomatique, étrave puissante de quelque navire antique sur laquelle s’éventraient les brumes grises et tourbillonnaires.
Mon imagination, déjà fertile et propre à gambader, était de surcroît nourrie par les récits fantastiques que me faisait ma grand-mère à la veillée. Elle racontait que l’obélisque vertigineux, qui jaillissait au-dessus de la tignasse des mélèzes, avait été la demeure des dieux et des déesses...
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Neige d'août
L’astrophysicien Henry Moore, invité du journal de 20h, était visiblement irrité. Ses sourcils broussailleux se hérissaient au-dessus de ses lunettes.
- Pas vraisemblable, disait-il avec un accent anglais. C’est ce que j’entends depuis la sortie de mon livre. Vous savez ce qui n’est pas vraisemblable, en réalité ? Les boniments insensés de la science officielle au sujet du soleil !
Le journaliste hocha la tête en jetant un regard rapide à l’ouvrage posé devant lui. Le titre, La face cachée du soleil, surmontait la photographie d’un astre noir.
- Je vais vous dire ce qui dérange nos scientifiques bien pensants, poursuivit Moore. Le soleil transforme chaque seconde 700 millions de tonnes d’hydrogène en 695 millions de tonnes d’hélium et 5 tonnes d’énergie. Cette énergie remonte vers la surface en 50 millions d’années, avant de se ruer dans l’espace et atteindre la Terre en 8 minutes. Cette énergie, c’est la lumière et la chaleur qui permettent à la vie de se développer. Mais le soleil émet aussi des particules, parmi lesquelles les neutrinos...
Moore se pencha en avant, les yeux réduits à deux fentes obscures.
- Contrairement à l’énergie, les neutrinos s’extraient immédiatement du soleil. Or, aujourd’hui, le flux de neutrinos est pratiquement nul ! Les scientifiques éludent purement cette anomalie. Moi je dis qu’elle ne peut avoir qu’une seule explication : le coeur du soleil s’est éteint et l’énergie que nous recevons encore est celle qu’il a émise avant son dernier souffle.
- Cette perspective est terrifiante, commenta le journaliste. Quand notre astre pourrait-il jeter ses derniers feux ?
- Impossible à prédire. Peut-être dans une heure ou alors dans un million d’années. Mais lorsque cela se produira, nous en serons rapidement avertis. La température de notre planète chutera de 250 degrés en trois jours, la photosynthèse sera interrompue...
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Le Quatre mille huit
- C’est même pas vrai ! protesta Iloa avec un air tellement sérieux qu’il en paraissait cocasse.
Son regard était pourtant irrésistiblement attiré par le surprenant paysage montagneux qui le dominait magnifiquement : les rayons du soleil reflétés sur la surface blanche étaient éblouissants. Un vent cinglant portait dans le ciel un oiseau noir au bec jaune. Il couchait également la fumée bleutée qui sortait du tuyau de fer perçant le toit d’une antique cabane en pierres sèches. Des hommes, chaudement vêtus, semblaient sur le point de s’élancer à l’assaut d’un glacier descendu du plus haut sommet. Ils avaient le visage rougi par le froid et exhalaient des nuages de vapeur, mais semblaient tous d’excellente humeur.
- La glace c’est que dans le congélateur, décréta le garçonnet avec une moue butée.
Son ton était définitif. Sa soeur aînée secoua la tête en levant les yeux au ciel.
- T’es un crétin, siffla t-elle en se redressant sur le canapé.
Elle claqua des doigts à l’intention de la maison et aussitôt le paysage exotique s’estompa. Les écrans muraux reprirent leur habituelle luminosité de veille, destinée à éclairer l’intérieur coquet.
- Demande à maman si tu ne me crois pas, dit-elle en baillant. Moi j’ai autre chose à faire que de perdre mon temps avec un bébé !
Elle quitta le visiosalon avec un air suffisant. Vexé, Iloa partit à la recherche de sa mère. Il la trouva dans la salle à manger, affairée autour du plot dédié à la préparation des repas. Elle répartissait les nutriments liquides fabriqués par la maison dans les assiettes. Le coeur du garçonnet bondit de joie : cela signifiait que son père n’allait pas tarder à rentrer du travail ! La jeune femme tourna un visage avenant dans sa direction.