Le Mont-Aiguille

En l’an de mon cinquante sixième âge, je me souviens avec émotion de mon Dauphiné natal…

Je revois en pensées ses prairies hachées d’eaux vives et ses sapins en pagaille, dévalant des pics éclaboussés de lin blanc jusqu’aux conques des vallées. Je revois le clocher gris de ses bourgs, découpés devant le profil bleuté des massifs. Je revois également le sourire espiègle de ma jolie Margot, lorsque nous gardions ensemble les moutons de ma grand-mère Ufisie et nos galops au milieu des herbes folles, remplies du vacarme des criquets.

Je n’effacerais jamais ces pensées rafraîchissantes de mon livre de pensées, dussé-je vivre encore un siècle. Pas plus que je n’oublierais l’ascension du Mont Inaccessible, qui fit de moi une célébrité locale et me fit perdre, du même coup, mon habit d’innocence, tout brodé de rêves et de légendes.

J’étais fasciné, dans cet âge, par la silhouette énorme et jaillissante du Mont Inaccessible, qui surplombe depuis toujours mon Trièves natal ; il hantait mes nuits et charmait mes jours, tantôt riant, découpé sur le chapiteau indigo du firmament et tantôt fantomatique, étrave puissante de quelque navire antique sur laquelle s’éventraient les brumes grises et tourbillonnaires.

Mon imagination, déjà fertile et propre à gambader, était de surcroît nourrie par les récits fantastiques que me faisait ma grand-mère à la veillée. Elle racontait que l’obélisque vertigineux, qui jaillissait au-dessus de la tignasse des mélèzes, avait été la demeure des dieux et des déesses...

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