Les deux cataclysmes antiques à l'origine du mythe de l'Atlantide

Nous gardons tous, collectivement ou individuellement, le souvenir plus ou moins clair d’évènements cataclysmiques réels, tels la disparition tragique de Pompéi, l’attentat suicide de New York en 2001, le tsunami de 2004 en Asie, et tant d’autres encore, ou même des évènements imaginaires mais devenus culturels à force de rabâchage, comme le Déluge des Hébreux, copié presque mot pour mot à partir de légendes babyloniennes plus anciennes. Et tout ceci , qu’on le veuille ou non, modèle nos craintes d’une prochaine catastrophe tout en devenant le terreau de l’inspiration des auteurs de livres ou de films catastrophe.
Et il en fut de même pour Platon, l’élève de Socrate, lorsqu’il écrivit ses deux plus célèbres livres philosophiques, le Timée et le Critias, entre 358 et 356 avant notre Ere.

Aux sources de la légende de l’Atlantide

Platon décrivit, à travers le Timée et le Critias, sa vision de l'origine du monde, de l'homme et de la société. Il recourut au mythe pour développer son argumentaire et sa représentation des évènement, c'est-à-dire qu’il mit en scène des évènements et des dialogues imaginaires pour progresser dans sa narration, avec une volonté de démontrer avec une certaine rigueur scientifique, même si la matière de ses démonstrations était à la base de la pure invention. Et quel meilleur moyen pour glorifier l’Histoire et l’âme athénienne que de faire raconter à son grand-père décédé, Critias, une histoire fabuleuse qu’il aurait soi-disant entendue et remontant aux premiers temps de l’Egypte ancienne ? Une histoire fabuleuse décrivant la résistance héroïque et victorieuse que la cité d’Athène aurait opposée, neuf mille ans plus tôt, à des envahisseurs venus d’un continent dont personne n’avait jamais entendu parler, l’Atlantide. Une gloire d’autant plus insigne que ces Atlantes, qui vénéraient le dieu de la mer Poséidon, étaient très en avance techniquement et socialement. En plus de glorifier le souvenir de ses aïeux, Platon utilisa avant tout ce mythe pour développer sa conception d’une société juste et hiérarchisée, comme pouvait l’être jadis celle des Atlantes.

Une fable à l’origine de siècles de divagations

Naturellement, l’Atlantide n’est qu’une fable, une parabole, de même que cette soi-disant guerre qui se serait déroulée 9500 ans avant notre ère (la cité d’Athène ne fut d’ailleurs fondée que vers 800 ans avant notre ère), guerre qui se serait terminé avec l’engloutissement terrifiant du continent des envahisseurs en même temps que de toute l’armée athénienne. Engloutissement bien pratique, du reste, permettant d’expliquer que presque personne n’en ai plus jamais entendu parler depuis.
Il me plait de penser que si le sage Platon avait imaginé un seul instant les élucubrations incroyables et autres controverses sans fin auxquels ses poétiques récits mythologiques allaient donner lieu, à partir du 15e siècle et surtout du 19e, il en aurait peut-être été affligé et aurait imaginé un subterfuge moins sujet aux divagations pour glorifier Athènes et vendre le système social de sa « République platonicienne ». :o)

Les cataclysmes réels qui ont inspiré à Platon l'Atlantide

Mais du coup, quels évènements cataclysmiques seraient susceptibles d’avoir inspiré à Platon d’une part la brillante civilisation atlante et d’autre part une fin aussi tragique ? Deux s’imposent immédiatement comme de très solides candidats :
D’une part le destin fabuleux puis dramatique de la magnifique culture minoenne, qui se développa en Crête et domina toute la Méditerranée, avant de s’effacer tragiquement suite à l’explosion du volcan Santorin, en laissant le champ libre aux cités grecques émergentes. Mais ces évènements se déroulèrent un millénaire avant Platon, du coup il ne le connaissait certainement que sous une forme semi légendaire.
D’autre part la disparition dramatique lors d’un tremblement de terre suivi d’un tsunami de l’un des plus florissantes cités portuaires grecques, Héliké, intervenue de son vivant et qui choqua profondément l’ensemble du monde Méditerranéen.

Quelques informations suivent, concernant ces deux drames historiques réels ayant sans doute contribués à la légende de l’Atlantide, entre autre…

L’explosion du Santorin : du mythe de l‘Atlantide à celui des Dix Plaies d’Egypte (en - 1 500)

L’île actuelle de Santorin (aussi appelée Théra), au nord de la Crète, est le vestige d’une plus grande île en grande partie volatilisée au cours d’une monstrueuse éruption volcanique intervenue il y a 3500 ans. Eruption qui projeta environ 30 km3 de pierre ponce dans l’atmosphère. Le volcan, haut d’un kilomètre à l’époque, était 80 fois plus volumineux que le Mont Sainte-Hélène et 27 fois plus que le Vésuve qui détruisit Pompéi. L’explosion dégagea une énergie 40 000 fois plus importante que celle de la bombe atomique qui détruisit Hiroshima. Après l’explosion, la chambre magmatique s’effondra, provoquant l’engloutissement de la caldera sous les eaux. La chute du volcan provoqua un mégatsunami de 20 mètres de hauteur qui se propagea dans toute la Méditerranée en s’exhaussant à l’approche des rivages. La Crête fut touchée en 7 minutes, la Turquie en 30, l’Egypte après une heure et demie. Les murs d’eau se propagèrent partout largement à l’intérieur de terres. La destruction des ports, des navires, des villages, des cultures sous les cendres, signifia ensuite famine et épidémies. Quant aux poussières en suspension dans l’atmosphère, elles obscurcirent le ciel européen durant des années, dégradant durablement le climat.
Depuis des décennies, on soupçonne fortement que cette éruption ait marqué durablement les esprits au point de contribuer à l'élaboration du mythe de l'Atlantide par Platon. On peut trouver de nombreux points communs entre la civilisation qui s'est développée en Crète et sur l'île de Santorin, de 2700 à 1200 avant J.-C. et celle que décrit le philosophe athénien dans le Timée et le Critias. De plus, le gigantesque tsunami qui a accompagné l'éruption minoenne cadre bien avec la catastrophe décrite par Platon, l'engloutissement de l'Atlantide. S’il semble difficile d’affirmer de façon irréfutable que l'effondrement de la civilisation minoenne et l’éruption volcanique sont deux évènements parfaitement simultanés, il est en revanche évident que la catastrophe a, au minimum, précipité la chute de la première puissance méditerranéenne de l’époque, en la privant de sa flotte, de ses terres arables, de ses réseaux commerciaux et d'une bonne partie de ses cités.
La catastrophe est également soupçonnée d’avoir contribué à susciter nombre d’autres légendes, parmi lesquelles la plus célèbre est celle des Dix Plaies d’Egypte. La colonne de cendres de l’éruption s'éleva jusqu'à 36 km de hauteur. Le vent dominant porta les cendres vers le Sud-Est jusqu'en Egypte où des dépôts ont été retrouvés et où fut probablement perçu le bruit de la détonation.
Les peuples de la région se souvenaient forcément de cette catastrophe lorsque fut rédigée le récit fondateur (mais certainement très largement imaginaire) de la sortie d’Egypte par les hébreux.
Chutes de lapilli et de cendres volcaniques rouges, mais aussi possiblement de pluies d’acide sulfurique capables d’oxyder les roches ferreuses du Nil pour leur donner des reflets de rouilles. Conditions climatiques humides et perturbées favorisant des regroupements inhabituels d’amphibiens et la prolifération des mouches et des moustiques avec, par ricochet, une recrudescence de toutes les maladies endémiques de l’époque (touchant comme à chaque fois en priorité les nouveaux nés, plus fragiles que leurs aînés), mais aussi des invasions de criquets pouvant durer des années. Des millions de tonnes de poussières volcaniques plongeant la méditerranée dans l’obscurité pendant plusieurs jours. Un raz-de-marée surpuissant provoquant dans le delta du Nil un abaissement subit du niveau des eaux avant que ne déferle la vague destructrice. Rajoutez à cela la crédulité d’une époque où les évènements naturels étaient interprétés comme des manifestations divines ainsi que le désir de créer un récit épique, et tous les ingrédients étaient réunis pour écrire l’une des plus célèbres légendes de l’histoire de l’humanité.
De tous temps, les évènements géologiques ont lourdement pesé sur le destin et sur les croyances des peuples, sans qu’ils en aient conscience la plupart du temps. Rappelons que l'éruption du Laki en Islande en 1783 a engendré un été froid et humide en France, avec des chutes de neige à Paris en plein mois d'août ! Les récoltes ont été catastrophiques dans les mois qui ont suivi, avec apparition de la famine et de rébellions du peuple affamé. Les années de disette qui s’ensuivirent sont aujourd’hui considérées comme l’une des causes majeures ayant conduit à Révolution française de 1789.

La disparition tragique de la cité porturaire d’Héliké (en -373) : un modèle pour Platon

En 373 avant notre ère, Héliké (ou Hélice) était l'un des plus grands ports de la Grèce antique, situé près de la rivière Selinus sur la côte sud du golfe de Corinthe, aux abords de la ville actuelle d’Aigio. Cette vaste cité, en partie lacustre, était célèbre dans tout le monde antique pour son temple de Poséidon et sa vaste statue du dieux de la mer. Hélas pour elle, un tremblement de terre intervient en l’an 373 avant notre ère, d’une magnitude estimé à 6,4, qui provoqua une brutale liquéfaction des sols gorgés d’eau et abattit la totalité des bâtiments, avant qu’un raz de marée consécutif au séisme n’achève la destruction et ne noie en partie le site. La grande statue de bronze représentant Poséidon fut à peu près tout ce qui resta debout après le séisme. Durant les siècles qui suivirent, les vestiges a demi-enlouti de la cité détruite resteront visibles au milieu d’une sorte de lagon d’eau salée, isolé de la mer (et asséché depuis), devenant même une attraction pour des voyageurs venant de loin. Peut-être Platon les découvrit-il en personne à cette époque, il est en tout cas certain qu’il en entendit parler maintes et maintes fois durant une quinzaine d’années avant d’inventer l’Atlantide pour les besoins du Timée et du Critias. Et ce n’est bien entendu pas un hasard s’il décrivit la cité d’Atlantide bâtie autour d’un vaste temple dédié au dieu des mers Poséidon, exactement comme c’était le cas dans la cité martyre d’Héliké…