Le déluge à l'epreuve des chiffres...

EXISTE-T-IL ASSEZ D’EAU SUR TERRE POUR PRODUIRE UN DÉLUGE ?
La "version Elohim" du récit du déluge dit qu'une grande inondation a tué presque tous les humains. La "version Yahvé" du récit précise toutefois que ces eaux étaient si abondantes que le niveau de la mer dépassait la hauteur des plus hautes montagnes de l'époque. La Genèse 7:19 dit : "Les eaux augmentèrent à tel point que toutes les plus hautes montagnes sous tout le ciel furent couvertes". Si le Déluge était global, alors ces montagnes qui ont été recouvertes par les eaux doivent nécessairement inclure l'Himalaya, les Alpes, les Rocheuses et la Cordillère des Andes. La chaîne de l'Himalaya compte 10 pics de plus de 7 000 mètres de haut, le plus haut sommet atteignant presque 9 000 mètres.

Cela signifie que, pour que la "version Yahvé" du déluge soit crédible, ce déluge planétaire doit avoir généré une marée qui, pour surmonter les plus hautes montagnes de la Terre, devait dépasser le niveau actuel de la mer d'environ 9 000 mètres (le Mont Everest se situe à environ 8 848 mètres au-dessus du niveau de la mer, et sa hauteur n'a jamais changé de manière significative au cours des dernières centaines de milliers d'années).
En d'autres termes, un homme se tenant idéalement sur la surface actuelle de la Terre aurait levé les yeux et, au lieu de l'atmosphère actuelle, n'aurait vu que de l'eau dans toutes les directions, en tout point de la Terre. La "surface" de ces eaux aurait été à la même hauteur que celle où volent les avions de ligne (8 500 mètres d'altitude). C'est environ 12 fois la hauteur du plus haut gratte-ciel du monde, le Burj Khalifa, qui ne fait "que" 829 mètres de haut. La Terre aurait alors été transformée en une planète d'eau.
Pour avoir une idée de l'énorme masse d'eau nécessaire pour obtenir un tel résultat, il faudrait multiplier la surface totale de la Terre, soit 510 100 000 km², par la hauteur atteinte par l'eau, soit environ 9 km, ce qui donne un total de 4 590 900 000 kilomètres cubes d'eau. Au total obtenu, il faut ensuite ajouter la masse d'eau constituée par tous les océans, qui, étant déjà sous la ligne de flottaison des continents, n'ont pas du tout été touchés par le Déluge. Le volume total d'eau de tous les océans est d'environ 1 300 000 000 kilomètres cubes, ce qui, ajouté à l'eau qui se trouvait au-dessus du niveau de la mer jusqu'à environ 9 000 mètres d'altitude, donne le chiffre stratosphérique de 5 890 900 000 kilomètres cubes d'eau.
Mais aujourd'hui, toute l'eau sur Terre, y compris les glaciers et les sources souterraines, ne représente que 1 400 000 000 de kilomètres cubes d'eau. La quantité d'eau présente dans l'atmosphère sous forme de vapeur d'eau s'élève à seulement 135 000 kilomètres cubes. Où sont les autres quelque 4 400 000 000 de kilomètres cubes d'eau nécessaires pour couvrir les plus hauts sommets de la planètes ? Ils ne sont tout simplement pas là. Nous ne les trouvons pas dans la mer, nous ne les trouvons pas sous terre, nous ne les trouvons pas dans l'atmosphère. Le volume d'eau nécessaire pour couvrir les plus hautes montagnes de la Terre n'existe tout simplement pas.
Le déluge n'a donc pas pu se produire tel que raconté dans la Genèse. Les eaux des mers n'auraient pas pu recouvrir les plus hautes montagnes de la Terre. Certains disent que lorsque le Déluge s'est produit, les montagnes étaient plus basses, et qu'il aurait donc fallu moins d'eau pour recouvrir la Terre. C'est une contre vérité, naturellement, puisque tous les géologues du monde s'accordent à dire que les Alpes, les Rocheuses, les Andes, l'Himalya et toutes les autres chaînes de montagnes de la Terre sont dans cette position depuis au moins plusieurs centaines de milliers d'années, depuis avant l'apparition de l'Homo Sapiens donc.
Donc, il est impossible qu’un Déluge d’eau ait recouvert toutes les terres émergées de la Terre.
UN NAVIRE POURRAIT-IL EMPORTER UN COUPLE DE CHAQUE ESPECE ?
Le récit de l'arche de Noé contenu dans la Genèse, le premier livre de la Bible, raconte que celle-ci aurait mesuré 300 coudées de longueur, cinquante de largeur et trente de hauteur ( Genèse 6:15 ).
D'après un calcul précis... : 133,50 x 22,30 x 13,40 mètres, pour un volume total de près de 40 000 m³.
L'arche, qui devait être construite en bois de gopher, devait aussi comporter plusieurs étages ainsi que plusieurs loges séparées ; une toiture d'une coudée avec une fenêtre, et être recouverte à l'intérieur comme à l’extérieur de bitume, probablement pour y favoriser la bonne étanchéité de l'ensemble ( Genèse 6:14-16 ).
« Aussitôt que ce jour parut, Noé entra dans l’arche avec ses fils Sem, Cham et Japheth, sa femme, et les trois femmes de ses fils. » — Genèse 7:13.
« Vous ferez entrer aussi dans l’arche deux de chaque espèce de tous les animaux, mâle et femelle, afin qu’ils vivent avec vous. De chaque espèce des oiseaux vous en prendrez deux ; de chaque espèce des animaux terrestres, deux ; de chaque espèce de ce qui rampe sur la terre, deux. Deux de toute espèce entreront avec vous dans l’arche, afin qu’ils puissent vivre. » — Genèse 6:19-20.
« Prenez sept mâles et sept femelles de tous les animaux purs ; et deux mâles et deux femelles des animaux impurs. Prenez aussi sept mâles et sept femelles des oiseaux du ciel : afin d’en conserver la race sur la face de toute la terre. » — Genèse 7:2-3.
« Vous prendrez aussi avec vous de tout ce qui se peut manger, et vous le porterez dans l’arche, pour servir à votre nourriture, et à celle de tous les animaux. » — Genèse 6:21.
« Noé se conforma à tout ce que lui avait ordonné l’Éternel. » — Genèse 7:5.
Ainsi, l'arche qui devait certainement être déjà très lourde, du fait de sa construction composée essentiellement de poutres de bois et de bitume, contenait aussi à bord huit personnes et l'ensemble des animaux, qui selon l'espèce, étaient de sept couples ou de deux couples de chaque ; à cela s'ajoutait le poids de la quantité nécessaire de nourriture, afin de tenir les quarante jours annoncés ( Genèse 7:4 ).
En conclusion, l'arche construite en bois de gopher, le bitume, huit personnes, la quantité de nourriture suffisante pour quarante jours et éventuellement, quelques petits effets personnels et quelques outils en cas de réparation d'urgence ou nécessaires à l'entretien des animaux... En outre, selon l'espèce animale, sept couples et deux couples de chaque : soit, une multiplication par 14 ou par 4 par espèce. Partons sur une moyenne de 9.
Maintenant, en toute modestie et avec lucidité, imaginons un instant le poids que devrait transporter l'arche de Noé...
Selon l'estimation la plus précise jamais effectuée et publiée, notre planète compterait environ 8,7 millions d'espèces vivantes, dont 6,5 millions évoluent sur la terre ferme et 2,2 millions en milieu aquatique.
Si l’on admet qu’un animal pèse en moyenne 1 kg et qu’on a 9 membres de chaque espèce à bord, on monte déjà à 78300 tonnes. Sachant qu’un être vivant ingère en moyenne 1% de son poids par jour en nourriture et 2% de son poids par jour en eau douce, et qu’il aurait fallu tenir 40 jours, il faut donc au minimum rajouter 120% à ce premier chiffre. On monte donc à un minimum de 172 260 tonnes. Juste en passagers et en nourriture et eau.
Le nombre d'espèces de plantes est plus difficile à déterminer, mais il existerait (d’après une étude de 2015) plus de 400 000 espèces décrites, donc le nombre total est certainement au moins le double, soit 800000 espèces, sachant que près de deux mille nouvelles espèces sont découvertes chaque année.
De même si l’on estime que chaque espèce végétale et son substrat de terre végétale pèsent en moyenne un kilogrammes et que la dite espèce végétale consomme 10% de son poids par jour en eau, on rajoute encore 1120 tonnes de plus sur notre navire.
On arrive donc à un minimum d’environ 173380 tonnes juste en poids du vivant + sa nourriture et son eau douce. Sachant que les plus grand portes conteneurs du monde (qui mesurent plus de 400 mètres de long) transportent jusqu’à 200000 tonnes entassées dans 20000 containers, il est possible qu’un de ces monstres de la mer soit capable de les emporter.
Si l’on imagine à présent que ces animaux et ces végétaux doivent disposer d’un minimum d’espace vital et de matériel pour survivre, et qu’il faudrait naturellement aussi envisager un personnel de plusieurs milliers de personnes pour s’occuper d’autant d’animaux et de végétaux, il faudrait alors disposer d’une flottille de plusieurs dizaines de ces super porte-conteneurs de 400 mètres de long pour envisager mener à bien une telle mission. Or la bible ne parle que d’un seul petit navire de 150 m de longueur dotée d’une seule petite fenêtre.
Donc, inutile de dire que nulle civilisation sur Terre ne serait capable de réaliser (même encore aujourd’hui) ce que Noé est censé avoir réalisé.
ALORS, COMMENT INTERPRETER LE RECIT DU DELUGE ?
Mais alors, puisque la mythologie judéo-chrétienne parle d'une catastrophe qui a presque éteint l'humanité, quelque chose pourrait avoir inspiré cette légende ? En réalité, ce texte biblique du Déluge (Genèse 6–9) ne raconte pas seulement l’histoire d’une inondation, il pourrait évoquer, en filigrane, une transformation de l’image de Dieu. Dieu, qui répondait jusque-là comme tous les autres dieux des autres religions, à la violence par la violence, et qui renoncerait un petit peu à la violence, au terme de cet évènement plus symbolique que plausible.
Pour bien comprendre le récit biblique de Noé, de l’arche et de la grande inondation, il faut savoir qu’il figure dans des textes largement antérieurs à la Bible. Dans l’Orient ancien, il existait en effet des récits de pluies torrentielles et d’inondations catastrophiques bien avant que le livre de la Genèse ne soit écrit. La Mésopotamie tirant sa richesses des fleuves Tigre et Euphrate, elle est aussi régulièrement ravagée par d’immenses inondations, qui semblent recouvrir intégralement cette région particulièrement plate.
Ces récits ont été rédigés au minimum 1000 ans avant les chapitres de la Bible sur le Déluge, qui ont probablement vu le jour entre le 8e et le 5e siècle av. J.-C. Les récits d’inondations sont très populaires dans l’Orient ancien, au moins à partir d’environ 1900 av. J.-C. Mais on pense que ces textes sont inspirés de textes encore plus anciens, datant de l’époque sumérienne, vers 3000 av. J.-C. Sans doute même encore plus tôt
Le texte qu’on connaît le mieux est sans doute L’épopée de Gilgamesh, une œuvre écrite au cours du 2e millénaire av. J-C dans une région située aujourd’hui en Irak (et sans doute inspirée d’une œuvre beaucoup plus ancienne), qui fait partie des grands textes de la littérature mondiale. L’épopée, mettant en scène des personnages en quête d’amitié, de vie et d’immortalité, contient de magnifiques pages qu’on peut lire avec profit aujourd’hui encore.
L’épopée de Gilgamesh évoque un déluge qui a beaucoup de points communs avec celui qui est décrit dans le récit biblique postérieur. Le texte, inséré dans l’épopée sans doute avant 1200 av. J.-C., raconte que les dieux voulaient provoquer une inondation pour une obscure raison. Mais éa (Enki chez les sumériens mille ans plus tôt), dieu de la sagesse, prévient Ut-napishtim (Ziusudra chez les sumériens, mille ans plus tôt), héros du récit, qui joue le même rôle que Noé dans la Bible. Il lui ordonne de construire un bateau pour qu’il puisse en réchapper, lui, sa famille et un couple de chacun des animaux :
« Homme de Shuruppak, fils d’Ubara-tutu, démolis la maison, construis un bateau, laisse les richesses, cherche la vie sauve, renonce aux possessions, sauve les vivants, fais monter à l’intérieur du bateau un rejeton de tout être vivant. »2 (Tablette XI, 23-27)
Les flots déferlent, les flots se retirent. Le bateau d’Ut-napishtim s’échoue sur une montagne. Celui-ci envoie une colombe, une hirondelle, puis un corbeau pour savoir si l’inondation est terminée. Les similitudes entre l’épopée et le récit biblique sont nombreuses et évidentes.
Les rédacteurs du texte du Déluge de Genèse 6-9 connaissaient parfaitement L’épopée de Gilgamesh. Ils étaient même déportés à Babylone, depuis des décennies, quand l’idée leur vient d’abandonner leur monolâtrie originelle pour créer un premier monothéisme véritable. Ils ont repris, entre autre, l’histoire d’inondation qui se trouvait dans l’épopée de Gilgamesh, ou d’autres récits orientaux de même type, pour fabriquer leur propre vision de la création du monde et de ses premiers temps.
Mais ils ne se sont pas contentés de copier les textes, parfois mot pour mot. Ils les ont aussi mis en relation avec leur propre foi, en faisant ressortir d’autres éléments, essentiels pour eux. Les auteurs des chapitres sur le Déluge devaient être préoccupés par la question de savoir ce que Dieu pouvait faire face à la violence des êtres humains ?
Pour rendre la question plus poignante, les rédacteurs de Genèse 6-9 ont peint les choses en noir, en imaginant le pire :
« 5 L’éternel vit que les hommes commettaient beaucoup de mal sur la terre et que toutes les pensées de leur cœur se portaient constamment et uniquement vers le mal. […] 11 La terre était corrompue devant Dieu, elle était pleine de violence. » (Genèse 6,5.11)
La question sous-jacente est la suivante : imaginons que les humains ne soient que méchanceté, et que la terre soit pleine de violence, dans ce cas, comment Dieu pourrait-il remédier à la situation ?
Le récit traditionnel du Déluge évoque l’une des manières dont Dieu pourrait agir. Cette option est la première qui est envisagée dans la narration. La voici :
« 6 L’éternel regretta d’avoir fait l’homme sur la terre et eut le cœur peiné. 7 L’éternel dit : “ J’exterminerai de la surface de la terre l’homme que j’ai créé […] ”. » (Genèse 6,6s)
C’est ainsi que Dieu provoqua une inondation, comme dans tous les autres récits originels de l’Orient ancien. Tous les êtres vivants sont anéantis, le juste Noé et sa famille sont les seuls survivants, avec les couples d’animaux.
Mais ce qui compte, c’est ce qui se passe après le Déluge ! Quand les flots se sont retirés, Dieu dit, dans le récit biblique :
« … Je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme, car l’orientation du cœur de l’homme est mauvaise dès sa jeunesse. » (Genèse 8,21)
Quelle curieuse explication ! La même lecture des faits, ou presque, avait servi à justifier le Déluge (Genèse 6,5). Et maintenant, après l’inondation, alors que rien n’a changé, Dieu promet de ne (plus) jamais provoquer d’inondation. Qu’est-ce que cela signifie ?
S’il y a cette contradiction manifeste dans le récit du Déluge, c’est peut-être pour faire passer un message crucial : certes, Dieu pourrait provoquer un déluge pour détruire les auteurs de violences et les méchants, mais cela ne servirait à rien, parce qu’un recours à la violence ne rendrait pas les êtres humains meilleurs. En sachant, par ailleurs, que Dieu ayant créé les humains, ce serait sa création elle-même qui aurait été défaillante. Il était donc préférable d’aborder les choses avec plus de circonspection. Et d’évacuer la critique potentielle, en imaginant un Dieu capable d’évoluer et de s’adapter aux évènements.
C’est pourquoi, dans le texte biblique, celui qui change, ce n’est pas l’homme, mais Dieu, qui suspend son arc de guerre dans le ciel. Dieu ne tire plus de flèches contre les humains qui commettent des injustices, des sacrilèges ou des violences, parce qu’il estime que cela ne servirait à rien et remettrait en plus en cause la Création.
Dieu se transforme donc dans le récit biblique. À un Dieu qui combat la violence des hommes par la violence, en provoquant le Déluge, fait place un Dieu qui renonce à la violence. Un Dieu qui bénit la vie et qui conclut même une alliance avec elle. Cette évolution, un peu surprenante au premier abord, annonce cette image d’un Dieu de paix et de tolérance qui émergera au fil de siècles de maturation et aboutira, des générations plus tard, au christianisme.
Donc, en guise de conclusion, si le Déluge en tant que tel n’eut jamais lieu, ce qui est à peu près évident pour tous, il rappelle toutefois le souvenir de catastrophes plus anciennes, qui marquèrent profondément les civilisations mésopotamiennes et donna naissance à nombre de mythes, et il laisse sans doute aussi deviner une étape importante de l’évolution de la pensée religieuse.